Quelle image as-tu eu en tête ? Spontanément, comme ça ?
Dans l'imaginaire collectif, boire comme une femme s'oppose mécaniquement à boire comme un homme (ça y est, l'image se fait plus nette ?). Et boire comme un homme ça veut dire boire de l'alcool et boire beaucoup (souvent à l'excès). Donc, par effet inverse, boire comme une femme, c'est souvent consommer l'alcool avec modération, ou choisir des boissons légères et sucrées. Or, ce n'est pas mon cas.
Nos goûts et comportements alimentaires sont les résultats de construction sociale. C'est vraiment bête à écrire, mais beaucoup de réflexions ordinaires prouvent encore que cette démonstration mérite davantage de lumières. Ce sera l'objet d'un article dédié, ici je voulais juste raconter quelques anecdotes personnelles.
A 23 ans, dans un bar de la rue Popincourt à Paris, je passais une excellente soirée jusqu'à ce que, en allant commander une bière au bar, le barman, très gentil au demeurant, me dise : "toi je sais, c'est vodka pomme". Sur le coup, j'ai souri et rectifié la commande, payé et dit au revoir merci. Aujourd'hui, j'aurais demandé "POURQUOI ?" Et la réponse m'aurait vraiment intéressée. Est-ce que beaucoup de femmes commandent des vodka pomme ? Est-ce que c'était juste une technique de vente pour une boisson sur laquelle il y a une bonne marge ? Peut-être qu'il n'en sait rien (le pauvre). Pourquoi s'acharner sur ce garçon qui ne faisait que son travail, qui était sans doute en mode automatique et qui ne pensait pas à mal ? Je n'ai aucun doute sur le fait qu'il était de bonne intention. Alors pourquoi est-ce que, plus de 13 ans après, ces quelques secondes furtives de hurlements par dessus un comptoir collant me marquent encore ?
Lors d'une soirée avec des inconnu·es, ça ne m'arrive pas souvent et franchement je regrette de ne pas fuir davantage ces moments de perte totale d'espoir en l'espèce humaine, je réponds, au détour d'un tour de table malheureux, que j'anime des dégustations de bière. Remarque délicieusement condescendante d'un homme qui paraissait digne de ma discussion jusque là : "Ah c'est marrant, la bière c'est plutôt une boisson de mecs". Précisons qu'il ne s'est pas encombré d'un "non ?" qui aurait été rhétoriquement plus poli. J'ai répondu, avec un regard de poisson mort : "C'est un point de vue", avant d'aller chercher un bout de pizza froide à mordre.
Avec mes copines de fac, quand on picole, il faut avouer qu'il n'y a pas besoin de beaucoup de bouteilles. Très rapidement, la majorité ralentit mais cela régule la consommation du groupe. Mécaniquement, les autres (moi y compris) boivent moins. Ce n'est pas le cas dans mon autre groupe de potes·ses mixte. Généralement, lorsque les femmes ralentissent leur consommation en fin de soirée, les hommes ne le perçoivent pas et continuent à boire, très souvent à l'excès.
Depuis mes 25 ans environ, j'ai pris goût aux spiritueux. En fin de repas avec les potes·ses, on tente de se persuader que l'alcool à 40% nous rendra plus léger·es pour se coucher. Sauf que, très vite, les seuls à taper dans les bouteilles de gin, armagnac ou whisky, c'est les hommes. Puis moi. Et encore, aujourd'hui, je lève le pied, parce qu'avec une gamine d'un an, c'est souvent une mauvaise idée de se mettre une mine puisqueclairement, rien ne l'empêche pas de produire des sons de cornemuses, pas même quand je lui demande en chuchotant.
Dans un atelier de dégustation, un homme me dit, sur un ton d'excuse, qu'il n'aimait pas le goût de l'alcool. Dans un autre, une femme me dit, sur un ton d'évidence, qu'elle préférait les bières plutôt féminines.
Je peux en trouver plein, des histoires de comportements genrés face à l'alcool.
C'est en écoutant l'épisode #43 du podcast Les couilles sur la table, intitulé "Il a bu son erre comme les autres", que la question m'est venue. Comment est-ce que je bois, moi, en tant que femme ? Comment se sont construites mes habitudes de consommation d'alcool ? Pourquoi est-ce que j'ai un comportement plus proche de celui des hommes de mon entourage, alors que j'ai également un groupe de potesses qui boivent moins ?
Pendant longtemps, j'ai accordé de l'importance au fait de "tenir" l'alcool. Sans doute parce que j'avais en tête de dépasser le stéréotype de la chinoise qui vomit dans les toilettes en milieu de soirée, événement fréquent dans les soirées de lycée et de fac et dont je voulais m'éloigner à tout prix. Et puis, c'était un élément important de sociabilisation. Très souvent, les boissons sans alcool sont soit sucrées, soit plus chères que la bière, soit socialement peu acceptées comme créatrices de lien social (un Perrier-tranche est rarement proposé pour fêter un anniversaire). Au-delà du genre, c'est la culture de l'alcool en France qui impose certaines règles d'interactions sociales.
Aujourd'hui, avec un enfant et un rythme de vie différent, je change ma façon de boire, moins d'alcool voire plus du tout par moment. C'est sans doute pour cela que j'aime autant mes différents métiers. Il me serait difficile de ne pas boire d'alcool si je travaillais à 100% dans le secteur de la bière. Ne serait-ce que par la proximité de l'alcool, ensuite par besoin de connaître les produits et de réseautage avec les brasseries.
Boire comme une femme, ce n'est toujours pas valorisé ou perçu comme enviable. Et peut-être qu'on s'en fiche. J'espère simplement que toi, après avoir lu jusqu'ici, tu te demandes ce que ces mots veulent dire. Femme ou homme ou non-binaire, comment tu bois et pourquoi ?